Le Taiji en tant qu’il ne se limite pas à une simple pratique de santé, mais constitue un véritable « art de vivre » constitue une ressource précieuse, mais le pratiquer seul n’est pas chose facile, il est donc important prendre en compte les quelques conseils qui suivent.
La régularité est le fondement de la pratique
Notre corps est rythmé par des cycles et tout événement aléatoire et imprévu est source de stress. Si vous souhaitez vous doter d’une pratique qui vous permettra d’en retirer du plaisir et qui vous transformera insensiblement avec le temps, il vous faut la concevoir dans une perspective claire par rapport à votre motivation, et précise par rapport à la durée, aux jours, aux heures et aux lieux alloués.
« Une perspective claire par rapport à votre motivation » signifie qu’il ne faut pas être trop ambitieux(se), ne vous fixez pas des durées trop longues, ni une fréquence trop élevée. Pour commencer vous pouvez vous fixer par exemple 2 séances de 20 minutes par semaine. Observez ensuite votre ressenti, si vous « le » sentez bien, augmenter progressivement la durée, ainsi que la fréquence la semaine suivante, mais surtout soyez régulier (comme si vous aviez passé un contrat avec vous-même). Cette régularité vous sera comme l’ancre d’un bateau qui l’empêche de dériver dans la tempête !
Que faire ? Ce qui vous plaît!
Une séance collective de Taiji comporte habituellement 5 étapes :
- Enroulements favorisant le relâchement du corps
- Qigong : Mouvements de circulation de l’énergie
- Pratique de la marche
- Travail sur une série de mouvements extraits d’une forme
- Neigong/ méditation
En travail individuel, ces 5 étapes constituent un menu un peu trop copieux (sauf éventuellement pour des « anciens »), il faut donc l’envisager davantage comme un « menu à la carte » dans lequel vous allez piocher non pas ce que vous « devez » faire, mais ce que vous avez « envie » de faire. Rappelez-vous que forcer votre corps à faire quelque chose dont il n’a pas envie est totalement contre-productif.
Vous êtes votre propre enseignant(e)
Lorsque l’on pratique seul, on est à la fois l’enseignant(e) et l’élève ! Sans verser dans la schizophrénie, ce que souhaite l’enseignant(e) en vous ne coïncide pas forcément avec ce que souhaite l’élève (ce n’est pas comme en cours où vous devez subir sans broncher les lubies de l’enseignant !).
Cette double instance en vous appelle un temps particulier qui est celui de l’évaluation (partagée par l’enseignant(e) et l’élève) sur ce que « vous » avez envie de faire. L’enseignant(e) en vous doit visualiser ce qu’il(elle) vous propose de faire en tant qu’élève. C’est un exercice intéressant que vous ne pratiquez pas habituellement, visualiser, intérioriser le mouvement avant son exécution. Ce qui va orienter votre choix, votre envie, votre motivation, est pour une bonne part liée à votre propre expérience du Taiji, mais peut aussi être lié à l’intuition que cette pratique profondément ancrée dans le Taoïsme est bien plus qu’un simple art martial. Examinons maintenant chacune des composantes du « menu » afin de fournir de la matière à votre motivation.
La pratique du Taiji se fait dans la nature
La pratique dans un environnement naturel, correspond à la vraie finalité de la pratique de Taiji. Il s’agit de se mettre au diapason de la nature, de développer cet équilibre entre l’interne et l’externe, de manière à atteindre une conscience globale et intuitive du monde qui nous entoure. Cela suppose de s’extraire d’une pensée rivée sur la préoccupation du geste et de favoriser un relâchement de plus en plus libre. L’attention se concentre tout autant sur la perception de l’environnement extérieur que sur le ressenti interne du corps. Lorsque l’on arrive à cette conscience d’être à la fois présent et absent à soi-même (extinction du dialogue intérieur) alors ce qui n’a pas de nom peut advenir (certains l’appellent le Dao).
Le taiji un « art martial interne »
Le Taiji, bien qu’on le définisse comme un « art martial interne », on en retient bien souvent que la dimension « martiale » liée au fait que l’apprentissage accorde une grande importance à la justification martiale des gestes. Mais quand on avance dans la pratique il faut accorder une importance tout aussi grande aux deux autres termes « art » et « interne ».
L’« interne » vient en second dans l’apprentissage, car c’est lui qui va permettre le changement de régime du corps, le passage d’un fonctionnement musculaire à un fonctionnement fondé sur l’énergie (Qi), le relâchement (Song) et la conduite de l’énergie par le Yi (l’intention). Le passage à un fonctionnement fondée sur l’énergie (le Qi) permet d’entrer en résonnance avec l’énergie (le Qi) du monde et de la comprendre non pas intellectuellement, mais avec un autre régime de fonctionnement du mental, par l’intuition, qui est une perception dégagée de toute représentation, en prise immédiate (sans médiation) avec le réel.
L’ « art » vient en dernier, car il suppose que soit atteint un bon niveau de maîtrise des aspects précédents, comme pour un musicien qui doit bien maîtriser son instrument avant de pouvoir interpréter une partition. Nous sommes l’unique artiste de notre vie, personne d’autre ne sera en mesure d’interpréter notre partition. L’art de l’interprétation dans le Taiji, vient quand l’esprit passe les commandes au cœur, quand votre pratique devient pure émotion, quand vous avez oublié les notes, les gestes, et que « ça » advient sans que votre volonté y participe.
1/ Enroulements et relâchement du corps
Trois éléments corporels fondent notre travail d’étirement : la colonne vertébrale, le bassin et les jambes. Ce sont au niveau du squelette les éléments les plus importants à préserver avec l’âge. L’objectif final est de développer la relaxation du corps, qui est le résultat de la détente musculaire, laquelle est favorisée par l’étirement musculaire (micro-muscles associés aux vertèbres en particulier).
Deux aspects concernent cette étape : wuji et les enroulements du corps.
- Wuji : Prise de conscience du corps, relâchement, ouverture des genoux, attention portée à la respiration.
- Enroulements : 2 enroulements frontaux, une station bras croisé et yeux fermés en bas sur 6 respirations, 2 enroulements latéraux, un enroulement final frontal.
2/ Qigong : Circulation de l’énergie
Dans toute cette séquence l’attention est portée sur la respiration abdominale (Dantian) avec un relâchement de tout le corps et une sensation d’enracinement dans le sol (poids au milieu des pieds, légère sensation d’agripper le sol avec les orteils).
Autre élément d’attention : considérer le corps comme un ensemble homogène et pneumatique qui se gonfle (« grand ») et se dégonfle (« petit ») au rythme de la respiration.
- Position de départ : Pieds parallèle (écartement = largeur des hanches + un pied). Doigts joints, pouce écarté, paumes face avant, connexion des bras avec les omoplates.
- Remplissage du corps avec le souffle à partir du Dantian, les bras s’élèvent en extension jusqu’au bout des doigts.
- Former le cercle des bras en étirant le dos jusqu’au bout des doigts (posture de « l’arbre »)
- 3 respirations de la colonne vertébrale par les bras à partir de l’extrémité des doigts
- 3 ouvertures (inspir)/ fermetures (expir) du cercle horizontal des bras coordonnées avec la dilatation et la contraction du Dantian.
- Passage sur une jambe, pivoter et s’asseoir dans la diagonale, gonfler et dégonfler 3 fois un petit ballon tenu par les mains l’une au-dessus de l’autre.
- 2 allers et retours en relâchant et en faisant tourner la tête les yeux fermés.
3/ Pratique de la marche
La pratique de la marche est quelque chose d’essentiel. Personnellement quand je n’ai pas trop de temps (par exemple seulement 20’) je pratique uniquement la marche et lorsque c’est possible avec de la musique. En effet, parce que les mouvements sont relativement simples, il est possible de se concentrer sur la fluidité/ continuité du mouvement, sur la relaxation du corps, son enracinement, la circulation de l’énergie rythmée par la respiration, toutes choses qu’il est beaucoup plus difficile de travailler dans l’enchaînement de la forme. La pratique de la marche, qui permet le plus de s’approcher de la notion de « méditation en marchant » est donc une pratique qui vous permettra d’approfondir votre plaisir de pratiquer. Si vous pratiquez la marche, imposez-vous une durée minimum (10’ est très bien), car ce n’est qu’à partir d’un certain temps que votre corps va trouver son « régime » (comme pour une voiture), et c’est à partir de ce moment que vous allez commencer à véritablement progresser. Le progrès n’est pas dans l’augmentation du nombre de gestes appris, mais dans la découverte de « l’essence du mouvement » qui résonne avec le Dao (« principe de fonctionnement de toutes choses » selon J.F. Billeter).
4/ Travail sur une forme (duan)
Si vous connaissez bien une forme (duan) et que vous avez envie de l’exécuter en entier, allez-y, faites-le ! Mais prenez-garde de l’ennui qui pourrait naître soit de la longueur de la forme, soit de votre maîtrise insuffisante. Une fois que vous l’aurez exécutée votre motivation risque de baisser pour une prochaine fois. Je vous conseille grandement de pratiquer la forme dans une durée intermédiaire (20-30’ maximum) afin d’investir davantage dans la qualité de votre exécution. Une telle stratégie vous conduira à privilégier l’exécution d’une séquence extraite de la forme. Il est en effet de bien meilleur bénéfice de pratiquer deux fois une séquence de 10’ plutôt qu’une seule séquence de 20’. Le critère le plus important est d’écouter votre envie, votre motivation, et encore une fois ne vous forcez pas.
L’utilisation de vidéos telles que celles présentes sur le site (principalement shi san shi et 1er duan) peuvent vous aider à élucider certains gestes que vous avez appris mais dont vous ne vous souvenez pas bien. Toutefois n’essayez pas d’apprendre de nouveaux gestes avec une vidéo, cela vous demandera beaucoup d’effort et le résultat risque de vous décevoir. Réviser plutôt, réviser et réviser encore !
5/ Neigong/ méditation
Je vous encourage vivement à pratiquer le neigong/ méditation, cette pratique vous permettra un centrage psychologique dans la période tumultueuse que nous traversons. Nous avons précédemment comparé la régularité de la pratique à l’ancre d’un bateau, et bien le neigong/méditation peut être comparé à une boussole.
Les 4 étapes constitutives du travail de neigon/ méditation sont les suivantes :
- S’installer dans votre posture, fermer les yeux, respirer par le nez, placer la langue au palais, prendre la position du « sceau taoïste » pour les mains, étirer le dos verticalement.
- Ajuster votre respiration (rapide/lente, superficielle/ profonde, longue/ courte) à votre état de fatigue et à votre humeur, ne la forcez pas, il faut que vous vous sentiez à l’aise.
- Scanner tout le corps partie par partie en déroulant pour chaque partie la séquence : prise de conscience du ressenti, faire respirer cette partie (on imagine que l’air entre sur l’inspir et qu’il sort sur l’expir de cette partie), « injecter » du relâchement dans cette partie (principalement sur l’expiration).
- Concentrer votre attention sur la respiration abdominale (Dantian) en étendant progressivement le volume de votre attention au corps tout entier, de manière à parvenir à un état où vous avez la sensation que tout votre corps respire dans une sensation d’unité.
Nota : Vous serez régulièrement distrait(e) par des pensées qui vont vous emmener dans des scénarios et des préoccupations liées soit à votre passé soit à votre avenir. Dès que vous en prenez conscience, ramenez votre attention à la respiration du corps tout entier. Avec la pratique vous serez de moins en moins dérangé(e) par ces pensées importunes.
En guise de viatique
Vous pouvez imprimer ces pages afin de les avoir facilement sous la main. Si vous êtes fatigué physiquement ou moralement et que vous n’avez pas le courage de pratiquer dans le créneau que vous vous êtes fixé, relisez simplement ces pages en étant allongé et en méditant sur leur contenu. Laisser faire les choses, petit à petit votre motivation (re)viendra.
Sachez une dernière chose, dans cette époque où la valeur suprême est la « maîtrise » (il faut être un « winner » !), le taiji s’inscrit à contre-courant en prônant le « non agir » wú wéi 無為 (aujourd’hui simplifiés en 无为).
« Ne faites pas du Taij » mais « laissez-vous devenir par le Taiji ! ».
Prenez soin de vous, votre corps est ce que vous avez de plus précieux, il mérite votre effort de pratique, et ainsi que le demandait Me WANG YEN NIEN à tout visiteur: « As-tu pratiqué aujourd’hui ? ».